Savoirs et valeurs : pratiquer et conjuguer

CICUR

Comment préparer nos étudiants pour un monde de crise et de fracture ? Est-il souhaitable ou même possible de chercher l’ordre dans les savoirs scolaires ?


Comment définir les valeurs communes et les savoirs communs qui ont de la valeur et qui méritent d’être transmis ? Comment les transmettre ?
Comment traduire la liberté, égalité et fraternité dans nos programmes et préparer à la citoyenneté démocratique ?
Comment expliquer les inégalités profondes dans une société qui se voudrait égalitaire et plurielle ? Où se trouve ce débat dans nos programmes ?

En Angleterre nous faisons face à ces mêmes défis et nous nous posons ces mêmes questions dans un contexte voisin. On attend de nos établissements une amélioration continue des résultats et nous sommes souvent appelés à donner à l’école de nouvelles responsabilités pour résoudre les problèmes sociaux. Mais nous avons eu peu de débat sur les valeurs et les fins des programmes scolaires.

Nos enseignants sont chargés de la promotion des « valeurs britanniques » : démocratie, liberté personnelle, état de droit, respect et tolérance. Difficile de ne pas être en accord, mais on pourrait se demander où est l’égalité, si fondamentale, qui donne au « respect » son caractère solidaire. On pourrait aussi se demander en quoi ces valeurs sont uniquement Britanniques.

C’est un débat qui n’a pas eu lieu. Ces valeurs sont données, figées, sans contexte historique, sans interrogation, sans dialogue et sans aucune conscience de leur évolution. Un tel débat pourrait être hasardeux car le rejet des valeurs britanniques est la définition officielle de l’extrémisme.

Mais l’interrogation de ces valeurs nous rend capables d’examiner de plus près d’autres idées-clés : l’« égalité des chances », la « réussite pour tous », et notre conscience du racisme vécu et de toutes les autres discriminations systémiques et quotidiennes. L’analyse et la critique doivent trouver leur place dans nos programmes, et ne pas être perçues comme actes subversifs.

Pour résister aux « fake news », par exemple, il faut avoir l’habitude de ne pas accepter tout ce qu’on nous dit, de remettre en question tout ce qui est donné et de chercher à comprendre la réalité à plusieurs niveaux.

Il nous faut peut-être de nouvelles analyses et de nouveaux outils pour bien réaliser le rôle de l’éducation dans un monde complexe. Plutôt que connaissances et compétences, peut-on plutôt parler de « littératies » ? Cela sous-entend l’intégration dynamique entre savoirs et action. Littéracies politiques, culturelles, technologiques, émotionnelles… toutes sont en développement continu, au niveau social et individuel et toutes jouent un rôle important. Elles nous donnent les raisons et les contextes pour « conjuguer » nos valeurs.

Liberté, je conjugue ton nom

Les valeurs ne s’enseignent pas, elles se vivent, se discutent, se redécouvrent, se réinventent. Nos étudiants ne peuvent que les explorer et les saisir pour s’en servir dans leur apprentissage démocratique. Pour témoigner de leur succès, on pourrait leur demander de mettre en œuvre leurs valeurs en créant leurs « chefs d’œuvres citoyens », leurs projets politiques, sociaux, culturels.

La France bénéficie de points cardinaux universels bien ancrés. La devise républicaine française représente la boussole d’une trajectoire de voyage en cours ; pleine d’espoir, et sans destination fixe. Liberté, Égalité et Fraternité se conjuguent et s’expriment chacune dans les autres et se pratiquent dans un contexte social complexe, fluide, en évolution.

Et si nos idéaux républicains ne sont pas toujours présents dans nos rapports, nous devons les re-imaginer autour de nous. L’école doit être un lieu de débat et d’expérimentation ou se pratiquent et se développent ces valeurs, pour qu’elles puissent s’élargir et s’approfondir dans le monde.

La liberté qui est un droit qui ne peut être donné par l’enseignant. Elle s’exprime dans l’action. Elle est créée et vécue dans le quotidien et elle se multiplie dans sa pratique. Elle évolue avec la société, sa portée s’étend au fil du développement social. La liberté de pensée, d’expression, de parole et d’action, s’exprime dans l’égalité et la fraternité ; entre égaux, en collectivité, dans un contexte social ou chaque liberté éprouvée en implique et enchaîne d’autres.

L’éducateur brésilien, Paulo Freire, nous rappelle qu’on ne peut pas imposer l’émancipation de l’extérieur – c’est un processus de réflexion, de dialogue qui aide à découvrir et à comprendre les pratiques oppressives et à se libérer soi-même.

Quand Paul Eluard écrit « Liberté j’écris ton nom » en 1942, c’est un acte dangereux de résistance. En 2020 avec une plus large liberté d’expression peut-on dire « Liberté, j’apprends ta grammaire » et être sûrs que nos étudiants apprennent à pratiquer et conjuguer la liberté, l’égalité et la fraternité – pour aujourd’hui et pour demain ?

Eddie Playfair, 2020

Billet rédigé pour le Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) du Comité universitaire d’information pédagogique (CUIP) autour des questions curriculaires en éducation.

Quelles finalités pour les enseignements

La réponse à cette question semble aller de soi : instruire, éduquer, transmettre, préparer… Oui, mais encore ? Quels savoirs transmettre, quelles cultures, quelles priorités éducatives ? Partant de la relation consubstantielle de l’École française avec la République, il nous a paru intéressant de nous demander si la trilogie des valeurs républicaines pouvait constituer la finalité de l’École et de ce que les élèves y apprennent.
Pour répondre à cette question, Michèle Haby, membre du CUIP (Comité universitaire d’information pédagogique) et Jean-Pierre Véran, membre professionnel du laboratoire BONHEURS de CY Cergy Paris Université ont sollicité trois intervenants complémentaires à leurs yeux : une universitaire engagée dans la formation des enseignants, Line Numa-Bocage (CY Cergy Paris Université), la présidente d’ATD Quart Monde, porte parole des parents et élèves les plus démunis, Marie-Aleth Grard, et l’ancien proviseur de lycée et conseiller politique de l’association des lycées anglais (AoC), Eddie Playfair. Chacun d’eux leur a confié une contribution écrite et un entretien vidéo. Extraits de la video : #8 La question des finalités / Extraits – YouTube

 Lire aussi, en Français :

 L’innovation pédagogique (October 2017)

Les refugies francophones de Londres (October 2016)

Egalité et solidarité dans une société diverse (April 2016)

Grammaire de Gramsci et dialectique de Dewey (December 2015)

Leçons sans paroles : comment la musique nous apprend a a vivre (July 2015)

L’autonomie : pourquoi ? (April 2015)

Laïcité, égalité, diversité (March 2015)

Citoyens multilingues, societe multiculturelle (March 2015)

L’inspection en Angleterre (December 2014)

Socrate et le numerique (July 2014)

About Eddie Playfair

I am a Senior Policy Manager at the Association of Colleges (AoC) having previously been a college principal for 16 years and a teacher before that. I live in East London and I blog in a personal capacity about education and culture. I also tweet at @eddieplayfair
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1 Response to Savoirs et valeurs : pratiquer et conjuguer

  1. nivekd says:

    Merci, Eddie. Magnifique! Une excellente compression de tant de grandes idées. L’égalité avant tout! Bon été.

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