Nous nous sommes réunis au Lycée Français Charles de Gaulle le 19 Octobre pour rappeler les évènements qui ont bouleversé le monde il y un siècle. Avant d’évoquer le Londres de 1916, je me permets d’évoquer celui de 1966. C’est à mi-chemin – il y a un demi-siècle – l’année ou un petit garçon de cinq ans commence sa scolarité en classe de douzième dans une des maisons victoriennes de Queensberry place. Je passerai 12 ans dans cet établissement extraordinaire et je lui suis très reconnaissant. C’est toujours avec une certaine émotion que nous retrouvons les lieux importants de notre enfance et je me rappelle la cour de Harrington road, la distribution des prix au Royal Albert Hall, les grands couloirs du vieux lycée, les laboratoires du grand lycée et éventuellement, en section Britannique, une autre maison victorienne au No.6 Cromwell place. Ces valeurs, ces méthodes, cet apprentissage et cette formation tous bien différents de ceux qu’on connu la majorité de nos contemporains Londoniens.
Environ un autre demi-siècle avant, Londres en 1914 est la plus grande ville industrielle du monde et de loin la plus importante de l’Europe ; une ville d’immigration où les immigrés sont à la fois accueillis chaleureusement et sujets à la xénophobie et au racisme. C’est une société inégale ou plus d’un million vivent sous le seuil de pauvreté tandis que certains de leurs proches voisins sont parmi les plus riches du monde. C’est une ville ou règne l’exploitation, le travail précaire, des conditions de logement épouvantables et des loyers impossibles. C’est une ville d’agitation populaire à grande échelle; de grèves dans les chantiers, dans les transports et dans les usines, ou certaines municipalités refusent d’administrer l’assistance sociale tellement elle est insuffisante. C’est une ville qui connait une lutte militante pour le suffrage des femmes avec des manifestations, du vandalisme et des agressions. Londres était en désarroi avant même le déclenchement de la guerre en Europe.
Et puis, le 24 Juillet, l’Autriche déclare la guerre contre la Serbie. Le 27, le système financier mondial cesse de fonctionner, le 31, le ‘Stock Exchange’ (Bourse de Londres) ferme ses portes jusqu’à nouvel ordre. À travers la ville, des milliers de citoyens se rassemblent contre la guerre. Mais une fois qu’elle est déclarée par l’Allemagne contre la France et que la Belgique est envahie le 4 Août, la fièvre belliqueuse saisit la foule et tout le monde semble soutenir l’intervention britannique.
En France, le député Socialiste Jean Jaurès avait prévenu, le 25 Juillet, dans son discours de Vaise, qu’un conflit localisé entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie pourrait faire boule de neige à travers l’Europe:
«Citoyens, je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes a l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah ! Citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique…entre l’Autriche et la Serbie signifie nécessairement qu’une guerre…va éclater…mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes a l’heure actuelle, des chances terribles.»
Jaurès prédit que :
«…si l’Autriche envahit le territoire slave…il y a a craindre que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour defendre la Serbie…l’Autriche invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne… »
Il y a aussi un traité secret qui lie la Russie à la France…et…
« c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu. »
Le 31 Juillet, Jaurès est assassiné à Paris et devient une des premières victimes du conflit. Consterné par la ruée vers la guerre l’écrivain Romain Rolland écrit Au-dessus de la mêlée en Septembre 1914:
“O jeunesse héroïque du monde, avec quelle joie prodigue elle verse son sang dans la terre affamée !”
En 1915, Rolland écrit dans son hommage à Jaurès:
«Il se livre sous nos yeux des batailles ou meurent des milliers d’hommes, sans que leur sacrifice ait parfois d’influence sur l’issue du combat. Et la mort d’un seul homme peut être, en d’autres cas, une grande bataille perdue pour toute l’humanité. Le meurtre de Jaurès fut un de ces désastres.»
Bientôt, à Londres, de nouvelles foules allaient se rassembler en silence pour témoigner du flot incessant des ambulances qui ramenaient des milliers de victimes du front aux hôpitaux de la ville. Les nouvelles technologies militaires allaient terrifier les Londoniens, bombardés de l’air par les ‘Zeppelins’ dirigeables. L’hystérie anti-allemande est courante et l’immense ‘palais des loisirs’ d’Alexandra Palace est transformé en sordide camp d’internement pour les citoyens de Londres d’origine allemande.
Il y a 100 ans, la bataille de la Somme était en cours – cette campagne qui a coûté 1 million de vies à elle seule. Un million! Il nous est difficile de concevoir un massacre à une telle échelle. La guerre s’est mondialisée avec un bilan éventuel de 17 millions de morts et 20 millions de blessés. Quand nos grands-parents nous ont parlé de ‘grande guerre’, c’est une formule qui semble bien insuffisante pour décrire cette destruction et ce traumatisme de toute une génération. Quand une paix est finalement négociée, elle n’a fait que créer de nouveaux ressentiments et de nouveaux conflits qui vont engloutir le monde une deuxième fois à peine vingt ans plus tard.
Tout cela n’est pas de l’histoire lointaine d’un intérêt abstrait. Nous avons connu cette génération. Ces événements ont façonné notre vie. Ils ont eux-mêmes été façonnés par des forces sociales que nous reconnaissons dans notre vie quotidienne. L’histoire ne se répète pas exactement dans tous ses détails, mais nous savons bien que l’inégalité extrême, l’injustice, la xénophobie, le nationalisme, le militarisme, la pauvreté, l’exploitation, les guerres et les crises de réfugiés existent encore – et comment ! On trouve aujourd’hui dans le discours public sur les réfugiés du conflit Syrien le même vocabulaire de méfiance et de racisme à peine caché. Il y a cent ans, ces mêmes préjugés ont été exprimés au sujet des réfugiés Belges et Français de Londres.
Je félicite et remercie donc le docteur Charlotte Faucher de l’université Queen Mary et le professeur Richard Grayson de l’université de Goldsmiths et les étudiants du Lycée Français Charles de Gaulle et ceux de Newham Sixth Form College (NewVIc) qui ont participé à ce projet pour leur excellent travail collaboratif. Ils ont fait un apprentissage de recherche avec des archives et des sources primaires issu de la communauté francophone Londonienne de l’époque afin de découvrir la vie des réfugiés français et belges qui se sont installé à Londres pendant cette période. Ce travail de mémoire est essentiel pour nous aider à comprendre le vécu de nos grands-parents et arrière-grands-parents et de comprendre les rapports avec nos problèmes contemporains.
Nous avons assisté à un premier ‘vernissage’ de cette exposition à Goldsmiths le 22 Septembre, depuis le 19 Octobre elle est au lycée Français Charles de Gaulle à South Kensington et en Janvier 2017 nous l’accueillerons dans notre nouveau bâtiment au lycée de NewVIc.
Lire aussi :
En Français
‘Au-Dessus de la Mêlée’ Romain Rolland (1914)
Egalité et solidarité dans une société diverse (Avril 2016)
In English
WW1 French and Belgian refugees were branded ‘shirkers’ (Goldsmiths blog)
Above the battle (Au-Dessus de la Mêlée) by Romain Rolland (1916) English version
Zeppelin Nights, London in the First World War by Jerry White (2014)
Jean Jaurès: ‘What is courage?’ (August 2016)
Instinct, heart and reason – Daniel Pennac on the refugee crisis (August 2016)
Giving peace a voice (August 2016)
Seeking refuge in poetry (September 2015)
ALTRUISME EFFICACE !!!
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