Je propose d’aborder 5 thèmes étroitement liés :
- La réalité des diversités dans toutes leurs formes.
- L’importance de l’éducation publique dans un projet de société.
- La solidarité comme expression d’égalité et de respect.
- La démocratie comme outil essentiel pour la construction d’un monde meilleur.
- Une Europe démocratique, égalitaire et solidaire.
Diversité
Nous sommes nombreux à venir d’autre part, à être immigré ou issu d’immigrés, à pratiquer plusieurs langues. Nous appartenons tous à plusieurs catégories à la fois. Nationalité, langue et culture ne sont que le début. À chaque niveau nous percevons des différences. Les êtres humains ont une multiplicité d’identités et toute société humaine est un kaléidoscope en mouvement constant. Nous jouons tous de multiples rôles et nous avons de multiples identités qui s’influencent et s’interagissent constamment.
La diversité est donc un fait indéniable. Un fait non seulement à accepter mais à célébrer puisque ce sont nos différences qui nous rappellent aussi notre similitude fondamentale. Pour bien se découvrir soi-même Il faut toujours être prêt à aller vers l’autre, à franchir les frontières qui nous séparent. Célébrer la diversité c’est célébrer l’humanité dans sa totalité et aussi la créativité constante des interactions humaines.
Le sociologue américain Richard Sennett nous propose que :
« Nous devons développer des institutions qui permettent aux différences d’entrer en dialogue, des institutions qui accueillent la diversité. »
C’est un projet essentiel.
Il nous faut préserver une identité ouverte et mutable. Il faut se méfier de la politique intransigeante de l’identité fixe et de ceux qui sont convaincus que leur assemblage particulier de valeurs et de perspectives est supérieur aux autres et qui ont perdu la capacité de prendre un pas a côté pour voir le monde d’un autre point de vue.
Ce n’est pas un souci théorique. Le chef du quatrième parti Britannique s’est plaint de se trouver mal à l’aise quand il n’entend que des langues étrangères dans les transports publics. Plus récemment il a proposé que les enfants d’immigrés perdent leurs droits de scolarité pendant 5 ans. Cela témoigne d’une méfiance envers l’autre et d’un désir qu’il ne se montre pas, qu’il soit exclu de l’éducation et de la vie en commun. Pas besoin d’aller chercher très loin pour comprendre les sentiments qu’il espère encourager.
Education
Dans cette société diverse, l’éducation publique est un point essentiel de rencontre. L’école, le lycée, l’université, les cours du soir – sont tous des lieus d’apprentissage, d’interaction, de dialogue. Nous avons créé ces institutions pour souder nos sociétés si diverses. A l’apprentissage personnel s’ajoute un apprentissage à la vie en commun et à la construction d’une société réussie.
En France, le principe de laïcité devrait permettre de réduire le risque extrémiste et permettre le « vivre-ensemble ». L’éducation en Angleterre ne partage pas la tradition laïque et républicaine de l’Education Nationale Française. Comment réagissons-nous aux mêmes défis et enjeux sociaux dans les établissements Anglais ?
Je ne peux que citer l’exemple de mon lycée, un Sixth Form College anglais avec 2,500 étudiants de Première et de Terminale dans un arrondissement socio-économique défavorisé de l’Est de Londres où le chômage et la pauvreté sont à des niveaux bien plus élevés que la moyenne.
Nous sommes une communauté diverse, riche en ressources humaines, pleine de jeunes très ambitieux qui obtiennent de bons résultats, progressent à l’université en grand nombre et dont des centaines font du bénévolat dans la vie associative de leur communauté.
Le contexte dans lequel vivent et sont éduqués nos étudiants n’est peut-être pas promettant au niveau économique mais ils sont soutenus par une communauté riche au niveau social, y compris dans leurs écoles, leurs collèges et leurs lycées. C’est là que nos étudiants développent leurs relations sociales entre amis, voisins, camarades de classe et modèles adultes. C’est dans ce contexte qu’ils partagent leurs joies et leurs peines, leurs espoirs et leurs craintes et qu’ils font l’apprentissage de l’identité et de la différence. Ce réseau de relations et de confiance se construit petit à petit au fil du temps. A l’échelle sociale tout cela contribue à ce qu’on peut appeler le bien-vivre coopératif ou la «cohésion communautaire».
A mon avis, ce sont ces relations sociales qui nous protègent le plus contre les extrémismes de toutes sortes. Ce sont ces relations qu’il faut constamment recréer, maintenir et renforcer.
La philosophe Hannah Arendt décrit l’éducation en ces termes :
« C’est avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun. »
Il me semble que si nous aimons nos enfants et que voulons les préparer à renouveler le monde commun, l’éducation que nous proposons doit se fonder dans l’association du connu et de l’inconnu. Pour apprendre il faut aller vers l’inconnu ; ce qu’on ignore. Nous nous servons de nos connaissances pour appréhender ce nous ne connaissons pas encore, pour construire des hypothèses et pour les évaluer contre la réalité qui nous confronte. Pour vraiment apprendre il faut aller chercher la différence, changer de position et voir les choses autrement, prendre une nouvelle perspective. Ce n’est pas toujours facile, mais ce sera toujours éducatif.
Solidarité
Cette rencontre dans l’espace éducatif se vit aussi dans d’autres espaces publiques ; la ville, la rue, l’hopital les transports en commun. C’est un dialogue, une conversation, qui se fait entre égaux. Ces concitoyens reconnaissent leurs différences mais s’entretiennent avec le respect qu’on accorde à celui qui nous est égal. Nous vivons tous la solidarité au quotidien, en payant nos taxes, en nous occupant des voisins, des espaces publiques, du bénévolat ou de la vie associative. Petit à petit on peut réussir à remplacer la xénophobie par la xénophilie.
L’auteur Uruguayen Eduardo Galeano définit la solidarité en la contrastant a la charité:
« Je ne crois pas en la charité, je crois en la solidarité. La charité est verticale, c’est pourquoi elle est humiliante. Elle va du haut vers le bas. La solidarité, elle, est horizontale. Elle respecte les autres et elle apprend des autres. J’ai beaucoup à apprendre des autres.»
Nous avons tous beaucoup à apprendre des autres et quand nous rencontrons l’autre, plutôt que de s’obstiner sur les différences, nous cherchons souvent d’abord ce que nous avons en commun; une langue, une passion, un rapport historique, des intérêts communs. A la base nous sommes tout d’abord des êtres humains et nous pouvons partager notre humanité commune. Nous savons tous ce qu’est la vie avec ses tristesses et ses joies.
Je citerai ici le poète Indien Rabindranath Tagore qui décrit si bien cette ouverture vers l’autre dans son poème Gitanjali :
« Là où l’esprit est sans crainte et où la tête est haut portée ; Là où la connaissance est libre ; Là où le monde n’a pas été morcelé entre d’étroites parois mitoyennes ; Là où les mots émanent des profondeurs de la sincérité ; Là où l’effort infatigué tend les bras vers la perfection ; Là où le clair courant de la raison ne s’est pas mortellement égaré dans l’aride et morne désert de la coutume ; Là où l’esprit s’avance dans l’élargissement continu de la pensée et de l’action.» (traduction d’André Gide)
Mais cet élargissement de la pensée et de l’action n’est pas toujours facile. Pour faire évoluer une vie en commun et maintenir une société diverse et complexe, il nous faut une puissante boite à outils pour construire, adapter, négocier et protéger ce qui nous est important. Ces outils sont nos droits, nos valeurs, nos institutions et nos pratiques à tous les niveaux. Il faut s’en servir, sinon ils se perdent avec de graves conséquences.
Cette rencontre, ce dialogue ne se fait pas dans le vide. Il y a toujours un contexte. Pour créer le contexte égalitaire et respectueux, il nous faut certaines valeurs communes. Il nous faut partager quelque chose qui vaut être défendu. Il faut que la grande majorité soit d’accord que ce sont là des vérités qui sont évidentes en elles-mêmes.
Il ne manque pas de propositions. Un de mes pays d’origine, la Corse, a créé la première constitution de l’âge des lumières, la France républicaine nous a donné « Liberté, Egalité, Fraternité », les Nations Unies nous offrent la déclaration universelle des droits de l’homme. Le Royaume Uni propose depuis quelques années des valeurs fondamentales Britanniques – ‘Fundamental British Values’ : la démocratie, l’état de droit, la liberté individuelle, le respect et la tolérance.
Démocratie
C’est Winston Churchill qui a dit :
« La démocratie est le pire des régimes – a l’exception de tous les autres déjà essayés. »
S’il est possible d’être solidaire et respectueux au niveau individuel, pour réaliser l’égalité et la solidarité au niveau collectif il nous faut des mécanismes qui dépassent l’individu. Un de nos outils les plus importants c’est la pratique de la démocratie. C’est une façon d’exprimer la solidarité entre égaux, de partager certaines décisions collectives en donnant à chacun une voix égale quel que soit sa position ou son rôle. Comme nous le rappèle Churchill, nous n’avons pas encore développé un système participatif parfaitement démocratique mais le nôtre nous permet à tous d’exercer un minimum d’influence politique et sociale – surtout si il existe des structures démocratiques qui permettent une décentralisation des pouvoirs à plusieurs niveaux ; la nation, la région, la commune, et que leurs pouvoirs sont en équilibre.
Europe
Nous allons bientôt décider si le destin du Royaume Uni reste en tant que membre de l’Union Européenne ou si nous allons quitter cette union pour poursuivre un destin différent. Je termine donc avec une perspective sur ce referendum qui aura lieu le 23 Juin mais je veux surtout plaidoyer pour une Europe sociale, égalitaire et démocratique.
Rappelons que ce n’est pas le premier referendum sur l’Europe : Le Royaume Uni a voté à 67% en 1975 pour rester dans le Marché Commun, la France a voté le traite de Maastricht en 1992 a 51% mais a rejeté le Traite de Constitution en 2005 a 55%.
On peut accuser les deux cotés à faire la campagne de la peur -‘Project Fear’. Selon les uns, tout sera en danger si nous quittons l’Union, selon les autres, tout sera en danger si nous y restons. L’emploi, la stabilité économique, la sécurité, l’immigration…il n’y a que du négatif et il faut voter contre ces dangers. Le camp ‘Brexit’ et le camp ‘Stay’ semblent tous deux vouloir motiver l’électorat par le rejet plutôt que le projet. Et pourtant, il y a du positif des deux côtés, même si pour le moment il n’est pas en évidence.
Parmi les critiques du projet européen, on nous dit que l’Union Européenne nous enlève notre souveraineté précieuse pour transférer des pouvoirs aux bureaucrates de Bruxelles – comme si nous habitions un univers où les forces globales qui façonnent notre monde seraient prêts à respecter les décisions d’un seul parlement national.
Loin d’être anti-démocratique, l’Europe nous offre un parlement élu par tous les Européens dans lequel nous avons tous des représentants; respecté, multinational, multilingue et avec la possibilité de transcender les intérêts nationaux. On y ajoute le principe de subsidiarité, établi dans le traité de Maastricht, qui limite l’intervention européenne aux problèmes réellement Européens.
Yanis Varoufakis, ancien ministre Grec des finances a dit il y a quelques mois :
« l’Europe doit se démocratiser sous peine de se désintégrer. »
L’Union Européenne est loin d’être parfaite, mais elle nous offre la possibilité d’une Europe sociale, coopérative, solidaire et surtout démocratique qui puisse répondre à nos aspirations et c’est avec cet espoir que je voterais pour la continuation de l’adhésion Britannique.
Conclusion
En conclusion, je pense qu’il faut refuser d’être prisonniers d’une seule perspective, d’une seule voix ou d’un seul ensemble d’identités. Il faut rejeter les catégories étroites et les stéréotypes culturels qui sont si souvent suivis par l’ignorance, le mépris, la haine et la division.
Donc, n’ayons pas peur de la diversité, du multiculturalisme, de la démocratie, de l’internationalisme. C’est précisément là que nous trouverons notre apprentissage de la vie en commun et c’est là que nous trouverons la possibilité d’une vie meilleure dans une société meilleure.
Conférence donnée au Cercle Français de Chiswick le 8 Avril 2016.
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