Mon article du 15 Mars 2015 pour le site Globaliz Now
Le principe de laïcité doit permettre de faire disparaitre le risque extrémiste et permettre le « vivre-ensemble » en France. L’éducation en Angleterre ne partage pas la tradition laïque et républicaine de l’Education Nationale Française. Comment réagissons-nous aux mêmes défis et enjeux sociaux dans les établissements Anglais ?
Je ne peux que citer l’exemple de mon lycée, un Sixth Form College anglais avec 2,600 étudiants de Première et de Terminale dans un arrondissement socio-économique défavorisé de l’Est de Londres où le chômage et la pauvreté sont à des niveaux bien plus élevés que la moyenne.
Nous sommes une communauté diverse, riche en ressources humaines, pleine de jeunes très ambitieux qui obtiennent de bons résultats, progressent à l’université en grand nombre et dont des centaines sont volontaires et bénévoles dans la vie associative de leur communauté.
Le contexte dans lequel vivent et sont éduqués nos étudiants n’est peut-être pas promettant au niveau économique mais ils sont soutenus par une communauté riche au niveau social, y compris dans leurs écoles, leurs collèges et leurs lycées. C’est là que nos étudiants développent leurs relations sociales entre amis, voisins, camarades de classe et modèles adultes. C’est dans ce contexte qu’ils partagent leurs joies et leurs peines, leurs espoirs et leurs craintes et qu’ils font l’apprentissage de l’identité et de la différence. Ce réseau de relations et de confiance se construit petit à petit au fil du temps. A l’échelle sociale tout cela contribue à ce qu’on peut appeler «cohésion communautaire» ou «résilience».
A mon avis, ce sont ces relations sociales qui nous protègent le plus contre l’extrémisme violent. Ce sont ces relations que nous œuvrons constamment à renforcer et il y a bien sûr aussi un travail important d’entretien.
Et pourtant…nous avons tout de même connu quelques jeunes qui ont adopté des idéologies dangereuses, qui justifient et même qui glorifient la violence à des fins politiques ou religieuses. Ils sont très peu nombreux et nous pensons, sans aucune complaisance, que nous les avons bien abordés.
Comme tous les établissements anglais, nous sommes partenaires dans une stratégie gouvernementale pour lutter contre l’extrémisme violent. Avant d’évoquer ce que cela implique je voudrais d’abord aborder la question de la colère, l’extrémisme, le ‘radicalisme’ et la ‘radicalisation’ dans le cadre éducatif.
Je commence par dire que, comme beaucoup d’autres, j’ai soutenu des causes politiques, j’ai manifesté dans les rues de Londres, j’ai été en colère quand j’ai perçu des injustices et je me suis fait entendre.
Nous qui avons milité, qui avons été en colère, somme nous «radicaux»? Sommes-nous «extrêmes»? Sommes-nous «vulnérables»? Sommes-nous montés sur une sorte de voie sens unique qui pourrait nous conduire d’une façon inexorable vers l’extrémisme violent?
Pour ma part, je me considère comme un bon citoyen qui choisit d’exercer son droit de libre expression de temps en temps et je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit pour me rendre susceptible de prôner la violence.
Comment tout cela se traduit-il dans un cadre éducatif?
Il faut commencer par nos objectifs éducatifs. Dans notre cas, notre mission est d’être une «communauté d’apprentissage réussie». La réussite, l’apprentissage et la communauté sont chacun important et nous voulons que nos étudiants:
- Deviennent des citoyens actifs, critiques, réfléchis, qui sont capables de prendre des mesures dans le cadre de la loi pour mener au changement. Capables donc d’être militants et de faire preuve de civisme.
- Sont assez conscients de l’histoire et la politique globale pour être en mesure de situer les conflits et les controverses d’aujourd’hui dans un contexte plus large et d’apprécier les perspectives différentes qui existent.
- Remettent en cause les idées reçues autour d’eux et développent leurs propres opinions qu’ils peuvent soutenir rationnellement.
- Sachent comment exprimer l’insatisfaction et même la colère avec le statut quo, et même comment être «radical».
- Puissent examiner et mettre en question leur propre système de croyances et voir la religion et autres systèmes de croyances ou d’idéologie dans le contexte d’une société plurielle.
Notre établissement a lui-même un ensemble de valeurs. Dans notre cas, il s’agit explicitement de valeurs laïques, de « valeurs Britanniques » si l’on veut, mais certainement de valeurs qui sont capables d’application universelle.
Nous avons aussi un code du comportement étudiant, une déclaration sur la liberté d’expression, une déclaration sur la religion au lycée et une déclaration sur la sécurité numérique. Nous avons aussi certaines responsabilités légales dans le cadre de la loi contre le terrorisme.
Nous voulons protéger nos étudiants contre l’influence de l’extrémisme violent quelle que soit sa source. Nous sommes engagés à fond et nous appliquons un code qui est bien compris par tous. Nos employés ont reçu une formation qui les sensibilise à l’égard des risques. Cela nous conduit à discuter les questions importantes, les confronter ouvertement et aider tout le personnel à reconnaître et confronter les discours ou les comportements qui peuvent être des signes précurseurs de l’extrémisme violent.
Nous ne nous attendons pas que nos collègues adoptent un point de vue particulier sur la politique étrangère Britannique, ou qu’ils soient experts en théologie ou géopolitique ou qu’ils reconnaissent tous les divers groupes extrémistes. Pas plus qu’ils n’ont besoin de connaître les noms et les activités des bandes criminelles de notre quartier. Mais ils doivent comprendre les risques, reconnaître et contester tout discours extrémiste qu’ils peuvent entendre et être prêts à défendre nos valeurs communes et de savoir comment signaler tout ce qui semble être un risque possible pour la sécurité des jeunes ou de leur lycée. Ce n’est pas une question de conscience personnelle, l’établissement l’exige.
En ce qui concerne les étudiants, nous souhaitons que personne ne se sente soupçonné ou persécuté en raison de leurs croyances religieuses ou de leur appartenance politique. Mais rien ne justifie des propos ou des comportements discriminatoires ou la glorification de la violence. Nous avons le devoir de contester, d’être clair à propos des risques, de rappeler ce qui est inadmissible et de protéger notre communauté.
Il nous faut fixer des limites très claires, bien les expliquer et être prêts à tenir la ligne. Dans notre établissement, nous n’admettons pas de sociétés uniconfessionnelles ou de prêcheurs externes. Tous nos conférenciers sont approuvés par la direction du lycée et nous n’acceptons pas d’orateurs qui risquent de prôner des opinions en conflit avec notre engagement envers l’égalité et le respect mutuel.
Nous ne voulons aucunement circonscrire le droit à la liberté d’expression ou décider ce qui nous est «acceptable» au niveau personnel. Nous ne devons pas, décrire les individus comme «bons» ou «modérés». Mais dans toute communauté la liberté a ses limites et il nous faut expliquer clairement les nôtres. Nos représentants étudiants ont voulu un dialogue à cet égard et nous avons participé à une discussion très ouverte à propos de la liberté d’expression, la laïcité et les droits politiques des jeunes.
Nous sommes avant tout une communauté éducative, notre projet est d’éduquer dans un contexte égalitaire et nous sommes persuadés que chaque jeune personne peut apprendre à respecter les autres et à exprimer son désaccord avec les autres dans un cadre de citoyenneté plurielle et démocratique. Nos valeurs doivent être vécues et pratiquées au quotidien par tous les membres de notre communauté et nous ne cessons de le rappeler. Il nous faut croire que ceux qui pourraient mettre en péril les valeurs de notre communauté peuvent aussi se reformer. Mais il nous faut également reconnaître les limites du projet éducatif et le fait que l’extrémisme violent peut attirer et séduire certains jeunes. Nos interventions ne réussissent pas toujours. Les éducateurs ne peuvent pas tout faire et il y a un moment où d’autres organismes doivent prendre le relai.
Notre établissement n’est pas typique, mais nous sommes prêts à partager nos expériences avec d’autres lycées ou collèges en Angleterre ou à l’étranger si cela peut les aider à s’engager en toute confiance avec ces questions difficiles.
Publié sur le site Globaliz Now le 15 Mars 2015.
Version anglaise ici.
Pardon! En anglais! Eddie: thanks so much, not only for this superb French lesson to compensate for my current lack of opportunity to practice, but mainly for a magisterial and emphatic statement of civilised beliefs and behaviour and best educational practice.
It would be good if other institutions (and politicians) in the UK and elsewhere took up your offer to share the thinking and the processes involved.
Further education – if only the establishment knew it – has always found ways to unravel the Gordian knot of learning, community, economics, psychology and politics. Your notably successful institution shows that strong clear leadership and dedicated staff can transform the lives and hopes of the most disadvantaged students.
As ever, thank you, good luck and best wishes.
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Thanks for your kind words Kevin. You’re quire right that FE seems to be at the intersection of so many of the key educational, economic and social challenges we face. That’s what makes it so interesting!
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Eddie There is no URL but have you seen the latest Storyville on BBC 4? Called The Great European Disaster Movie. 9 days left to watch. Heartbreaking and unmissable. Good staff development stuff. Kevin
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Thanks Kevin, I’ll try and catch up with this.
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Dear Eddie, there is an extremely interesting article on these same issues exactly in the current issue of the New York Review of Books, vol LX11 no.4, by Mark Lilla at the Paris Institut d’Etudes Avancees. He analyzes la laicite republicaine and acute debates now in France post Charlie, focussing on what policy to adopt in the schools esp those in les quartiers. Jackie
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Thanks Jackie, I’ll look this up over the holidays. I hope all is well with you, Eddie
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Hi Eddie, this has arrived at the same time as your Nazim Hikmet poems. For info (no need to reply to me). Jackie P.S. Her name is Setsuko, not Sestuko. Women in Black began 1988 with the 1st Intifada,=Israeli and Palestinian women together for peace, now worldwide.
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