Grammaire de Gramsci et Dialectique de Dewey.

‘Dewey eyed optimism : the possibility of a democratic education’ – James Donald (1992)

(Original post in English available here)

GramscideweyIl y a plus de 20 ans que j’ai découvert cet essai dans l’édition de Mars / Avril 1992 de la revue New Left Review. Il examine le rapport entre les savoirs, les compétences, l’éducation générale et la formation professionnelle. Il m’a aidé à reconnaitre qu’une éducation égalitaire et démocratique pouvait aussi valoriser la tradition et les connaissances.

Il a servi à confirmer mon opinion que l’éducation doit à la fois adopter le canon et le contester et que l’enseignement est toujours dialectique, étant donné qu’il affronte constamment le connu à l’inconnu. Il m’a aussi conduit vers les idées de John Dewey et d’Antonio Gramsci.

James Donald considere le point de vue de Dewey et d’autres sur le rôle de l’enseignement public dans la création et l’entretien d’une société démocratique. Plutôt que de bâtir un système éducatif à base de notions fixes de la nature humaine, de l’identité ou de la communauté, Dewey propose une approche plutôt expérimentale ; de réflexion et de critique continue à propos de toute l’activité humaine et qui prévoit la possibilité du changement.

J’ai trouvé ce «constructivisme démocratique» très motivant.  Comment ne pas être excité de voir notre travail d’enseignant comme travail de construction d’un monde meilleur, ou de voir l’école comme lieu où peuvent se créer des relations sociales démocratiques et égalitaires. Et ces objectifs me motivent encore, tout en me rappelant quotidiennement que nous habitons tous le monde tel qu’il est et que les conditions pour ce monde meilleur ne sont pas toujours présents.

Bien plus tard, dans les années 1980, le sociologue Richard Johnson de l’Université de Birmingham articulera la notion de l’école comme institution culturelle. Dans le cadre d’une société diverse, Johnson nous propose d’imaginer des formes d’éducation qui n’imposeraient pas d’identités fixes ou homogènes, mais qui seraient capables de participer à la construction de la société par le moyen du dialogue.

Je trouve aussi que pour reconnaitre et explorer les différences il faut partager certaines valeurs et compétences communes pour que nous puissions prendre le risque de quitter notre zone de confort pour aller vers l’autre. Un enracinement culturel, religieux ou idéologique peut nous donner confiance mais pour être éduqué il faut aussi s’ouvrir à la différence, le dialogue et même le conflit. Sinon, cet enracinement il peut être limitant et débilitant plutôt que libérateur et affirmant. Si l’école est un lieu essentiel pour construire les valeurs communes elle sert aussi à explorer les différences.

Et quel rôle pour les connaissances dans tout cela? James Donald demande si l’école peut produire le «savoir vraiment utile» dont nous avons tant besoin. Il se tourne vers Antonio Gramsci qui, dans les années 1930, a souligné le rôle de l’école dans la création de normes culturelles, de valeurs et de hiérarchies. Donald propose une alliance entre ce besoin de tradition et de savoir avec le projet Deweyen de construction sociale. Selon lui, l’éducation nécessite une articulation sceptique de la tradition,  un processus obligatoirement récursif et expérimental.

Pour emprunter les termes du Trivium, il me semble que Donald propose d’enseigner à la fois (i) la grammaire; connaissances essentielles et fondamentales, le canon, la structure, les règles et (ii) la dialectique; l’interrogatif, l’argument, la contestation, le démantèlement et la reconstitution de ces connaissances. Peut-être avons-nous besoin d’un « traditionalisme démocratique » et d’un « radicalisme dialectique »: la grammaire de Gramsci alliée à la dialectique de Dewey.

Donald critique l’enseignement professionnel contemporain (an Angleterre) fondé comme il l’est sur le faux espoir de la réussite économique et qui ne fait que de-professionnaliser et affaiblir l’éducation. Plutôt que de préparer certains jeunes pour l’emploi, il propose une éducation démocratique, moderne et intellectuelle pour tous, un programme qui doit aussi aborder le sujet de l’économie et de l’emploi. L’hypothèse que la création de filières professionnelles spécialistes dans le secondaire puisse résoudre nos problèmes économiques est fausse. Nous ferions mieux d’offrir aux jeunes une éducation libérale, culturelle et pratique pour tous. Ce serait peut-être bien une meilleure préparation pour le marché du travail.

Donald dénonce aussi la tendance «créativité et auto-expression» parmi les éducateurs progressistes. Il considère que l’idée d’une éducation visant la pleine expression du potentiel créatif de l’étudiant est un enseignement « thérapeutique, vaguement hédoniste, vaguement puritain». Il estime que ce rôle « quasi-politique » est contreproductif aux objectifs progressistes.

Donald fait bien de nous prévenir contre le déplacement de l’enseignant comme une source de connaissances académiques et d’autorité culturelle. Il est toujours utile aussi de se rappeler que nous voulons une éducation qui développe tous nos élèves plutôt que de reproduire les inégalités ou les revendications politiques. Que ce soit dans l’éducation pour la citoyenneté ou pour l’emploi, nous devons éviter l’endoctrinement tout en reconnaissant que chaque système d’éducation ait une certaine base idéologique.

James Donald ne trouve démodé ni Dewey ni Gramsci. Au contraire, il les considère ensemble comme «la seule possible dynamique d’une éducation démocratique». Toute aussi pertinente aujourd’hui, son analyse nous offre la possibilité d’une synthèse des positions progressistes et traditionnelles qui pourrait véritablement faire avancer le débat.

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About Eddie Playfair

I am a Senior Policy Manager at the Association of Colleges (AoC) having previously been a college principal for 16 years and a teacher before that. I live in East London and I blog in a personal capacity about education and culture. I also tweet at @eddieplayfair
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3 Responses to Grammaire de Gramsci et Dialectique de Dewey.

  1. nivekd says:

    Malheureusement, en ce moment, comme a dit Gramsci, on souffert des symptômes morbides.
    Bonne année!
    Et merci pour votre blog.

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